Aux origines de la musique Malgache
Etude raisonnée et folklorique
Robert Rason*
*Organiste et Maître de Chapelle de l’église saint
Jean Baptiste Faravohitra, Professeur de musique à l’Ecole Municipale de
Tananarive.
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La musique étant l’expression fidèle de
tous les sentiments éprouvés par le cœur de l’homme dans les diverses
circonstances de la vie, ce modeste travail montrera comment le peuple malgache
justifie à sa manière cette exacte définition.
Le lecteur s’étonnera, peut-être, de ne
trouver ici ( alors qu’il n’ignore pas l’étendue de la grande île et ses
quelques vingt tribus) qu’une étude consacrée exclusivement à la musique hova
et betsimisaraka. Il nous excusera lorsque nous lui aurons dit que les hova et
les betsimisaraka ont toujours eu des dispositions musicales remarquables
et que leur musique a fait tache d’huile sur Madagascar. Quant aux autres
peuplades plutôt frustres et guerrières dont toutes les réjouissances
consistaient en des ringas, sorte de danses rythmées par le battement des
tam-tams, elles ne tardèrent pas à subir l’ambiance des chansons hova et
betsimisaraka et à les adopter à leur manière.
En 1930, nous eûmes la bonne fortune de
pouvoir nous entretenir avec un vieillard malgache de cent trente ans. Bien qu’il
soit mort depuis de nombreuses années, nous nous souvenons parfaitement de lui
et de sa conversation tellement instructive ? Ce respectable doyen
jouissait encore merveilleusement de toutes ses facultés intellectuelles et sut
nous raconter dans un style archaïque fort intéressant les us et coutumes des
anciens temps.
Nous lui devons bon nombre de documents
que nous avons utilisés au cours de cette étude.
A notre humble avis, la musique
malgache, dans son évolution, a parcouru trois périodes nettement définies.
Première
période : sous les premiers rois Andrianampoinimerina, Radama I,
Ranavalona I, jusqu’à Radama II.
Deuxième période :
depuis Radama II, Rasoherina, Ranavalona II et Ranavalona III, jusqu’à
l’extinction de la monarchie Hova.
Troisième période :
depuis la pacification française jusqu’à nos jours.
Première période
La musique malgache sous les premiers rois
( 1800-1850 )
C’est
à cette époque que l’on trouve la musique purement malgache. Elle se révèle
simple et monotone, mais aussi religieuse :
C’est le reflet du culte et du respect qui attachent le peuple à ses
maîtres et souverains élevés au rang de demi-dieux. Nous avons là une musique
au rythme libre dégagée de tout accident et qui, dans sa naïveté, n’a
pour mobile que le calme et la piété : musique à l’état embryonnaire qui,
n’ayant subi aucune influence étrangère, coule limpide et sereine pour exprimer
tous les sentiments humains.
Les phrases
finissent tantôt majeurs sur la tonique, tantôt mineures sur la 2e degré,
tantôt majeures sur la 4e degré, enfin tantôt indécises sur la dominante et le
sensible.
Nous
n’hésitons pas, en dépit de l’opinion de certains auteurs, à affirmer que la
musique malgache n’exclut pas le mode mineur. Sous le règne
d’Andrianampoinimerina et de son fils Radama I, la tradition ne nous a pas
léguées de chansons populaires; l’histoire nous en donne d’ailleurs la raison.
Ces anciens grands rois, occupés à faire la guerre aux diverses tribus,
n’avaient pas le loisir de favoriser le développement des arts ; leur but
était l’extension de leur royaume et la mise en valeur de la terre. D’où cette
conséquence naturelle : le peuple, terrorisé par des troubles continuels
et absorbé par un travail matériel incessant, n’avait guère le temps de
s’adonner à la musique. En effet pour cultiver cet art hérissé de difficultés
et pour que l’inspiration s’épanouisse dans toute sa fraîcheur, il faut une
atmosphère de calme et de sérénité.
Par bonheur, avec la paix qui régna dans les divers points de l’île
pendant les premières années qui suivirent l’avènement de Ranavalona I, on vit
l’éclosion de bon nombre de chansons que nous noterons au fur et à mesure de
nos commentaires. La reine Ranavalona I, pour agrémenter sa Cour, subventionna
deux illustres femmes : Raivomahatana et Rasoanotadiavina, ainsi que, peu
après Raivodosy. Chanteuses de profession, elles avaient pour mission de
former les mpiantsa ou chanteuses royales dont le rôle consistait, dans toutes
les fêtes et manifestations publiques, à chanter et danser en chœur au devant
du cortège royal.
C’est à partir de cette époque que la musique malgache
prit son véritable essor. La plupart des vieux airs répandus à travers la
Grande île et que les générations successives nous ont transmis font foi.
Le peuple malgache, mettant à profit son élan
naturel, se plut à composer, à improviser, à chanter et danser. Dès lors,
fêtes, réunions de famille, événements joyeux et tristes devinrent
l’occasion de chants, à tel point qu’il est possible de dire : La musique
pour le Malgache est à sa vie ce que l’eau est au riz. C’est une compagne
fidèle, inséparable dans toutes les circonstances de la vie : joie dans
les fêtes, consolation dans les détresses.
Hymnes
royaux.
Nous avons pu recueillir quelques hymnes consacrés à
l’exaltation royale, lors des manifestations publiques.
La reine Ranavalona
I est assise sur son fastueux palanquin, à l’ombre d’un énorme parasol de
velours écarlate ; elle écoute, ravie, les souhaits de longue vie entonnés
par la coryphée à la voix forte et chaude, auquel répondent en
duo toutes les femmes qui rivalisent d’ardeur pour célébrer
leur souveraine. Les mpiantsa au nombre d’une cinquantaine, sont vêtues
d’une longue robe blanche, émaillée de rouge qui leur tombe jusqu’aux
chevilles : la tête serrée dans un mouchoir rouge, la main droite agitant
en cadence une écharpe en signe d’ovation, ces chanteuses royales, tout en
esquissant un léger et gracieux mouvement de danse, répètent animato la
mélodie inlassablement reprise par le coryphée. Devant elle, un héraut
souffle à perdre haleine dans une conque marine, cependant qu’une trentaine
d’hommes, la tête enveloppée d’une sorte de turban rouge et les
reins ceints d’un énorme pagne de couleur rose, poussent par intervalle des
cris gutturaux et bizarres et exécutent des danses qui n’ont rien à envier aux
rumbas les plus modernes. Ranavalona I au début de son règne, était choyée par
ses sujets qui ne manquaient pas une occasion pour la célébrer. Les chanteuses
sont divisées en deux groupes ; le premier, appelées (chanteuses de
droite) entonnent avec feu les deux premières mesures ; le second
(chanteuses de gauche) lui répond en parties animées, et l’hymne recommence
invariablement jusqu’à défaillance du coryphée. En dépit de sa rusticité, cet
hymne, chanté par des voix de femmes avec la chaleur et la piété qu’il
comporte, traduit à sa manière un je-ne-sais-quoi d’oriental, de doux et de
suave. Tel autre hymne royal de cette époque se révèle déjà plus artistique. En
effet, partant de la dominante, le coryphée va à la tonique, saute à nouveau
joyeusement à la dominante, tandis que le chœur réparti en deux groupes lui
répond dolce à la médiante et à la tonique, en effectuant une charmante
incursion à la dominante.
Cet air
d’une conception facile et chantante a servi de base à de nombreuses
compositions malgaches postérieures, mais il ne peut être pleinement apprécié
que dans son décor naturel .
Chansons d’enfance.
Nous
pourrions citer des centaines de chansons d’enfance, mais comme les mélodies, à
peu de choses près, n’offrent que de légères variantes, nous nous bornerons à
en signaler ici quatre seulement parmi les plus typiques. Elles se résolvent
toutes à la tonique et à la dominante comme pour marquer l’innocence et la
candeur.
Chanson
enfantine dialogue entre deux groupes : le premier représente une bande
joyeuse qui, à la vue d’un oiseau perché sur un grand arbre, lui pose cette
question : Qui est là-haut ? La réponse est donnée
par le second groupe qui est censé représenter l’oiseau.
La mélodie suivante offre plus d’intérêt, tout en étant
plus brève que la précédente. Elle rappelle à tout malgache de l’ancien
temps le plus grand jour de l’année : le jour du Bain, anniversaire
du roi ou de la reine.. A cette occasion solennelle, Sa Majesté faisait une
large distribution de bœufs gras et de lambas à tous ses sujets.
La fête durait trois jours au cours desquels les familles s’invitaient à un
grand festin. La joie et l’ivresse de cette manifestation patriotique ont
inspiré cette chanson originale qui ne comporte d’ailleurs que quatre mesures
Et voici un autre chant dont le rythme syncopé et la
mélodie au développent plus large nous transportent dans une atmosphère fraîche
et candide. C’est une ronde enfantine.
Dans
la case enfumée, devant le foyer où pétille le bozaka ou paille
sèche, vieillards et femmes âgées branlent le chef en la fredonnant
gravement devant leur fenêtre entrouverte. Dehors, comme invités par un beau
clair de lune, garçons et fillettes, en cercle, les mains mollement agitées,
comme les tiges d’un riz bien mûr que berce avec douceur la brise du soir,
chantent cette ronde con anima, tandis qu’au loin semble
mourir la voix plaintive des chiens. Cette mélodie, là encore, sera reprise
jusqu’à la défaillance complète du chef de chœur.
La dernière chanson enfantine dont il sera question ici ne le cède en
rien aux trois premières. Caractérisée par une série de tierces majeures au
premier motif et par l’accord de Fa majeur au quatrième degré, suivi
sans préparation de celui de Sol majeur à la dominante, elle ne
laissera pas de piquer la curiosité de nos lecteurs. L’andante quasi largo de
cette mélodie réclame une exécution calme et expressive, et c’est toute l’âme
malgache qui s’émeut à l’entendre.
Chansons populaires.
On
pourrait dire que nous nous trouvons, cette fois, en présence d’une
confidente anonyme de toutes les pensées intimes que le langage humain est
incapable d’exprimer, s’il faut en croire Vinet : joie, bonheur,
tristesse, chagrin, espoir, lassitude les chansons populaires embrassent
l’humanité tout entière du berceau à la tombe.
Voici,
par exemple, une ancienne mélopée, finissant l’accord de dominante, que l’on
chante à l’occasion d’une circoncision.
Il est facile de discerner dans cet
air trois qualités en opposition :
Invocation
suppliante de toutes les femmes à la Divinité (religiosamente) ;
Craintes et pleurs à l’approche du sang qui va être versé
pour la première fois ;
Joie, pourtant, dans la perspective que l’enfant circoncis deviendra plus
tard un homme valeureux.
Hymnes et idoles.
Les
vieux malgaches invoquaient et adoraient des idoles ; ils composèrent en
leur honneur de nombreux hymnes. Dans l’un d’eux, en l’honneur de l’idole
Ramahavaly, on relèvera, outre les accords majeurs de Do, l’accord de triton
et celui de sensible.
Un autre air populaire
ne manque pas non plus d’attrait en raison de la 7° majeur de la deuxième
mesure, de l’accord de Fa très rapide qui se résout sur la
sensible, à la dominante et de nouveau sans préparation à la quarte.
Et voici maintenant
des chansons de soldat. En quittant le sol natal, les larmes aux yeux
mais le cœur tranquille les guerriers recommandent à leur famille d’apporter
tous les effets de voyage qu’ils énumèrent con anima dans leur
chant : Apportez nos provisions, nos tabacs ; nous disons
adieu à nos parents et à tous nos amis. Adieu donc chers parents et chers amis.
Lorsque les soldats étaient en campagne dans une contrée lointaine, leurs
pensées s’envolaient vers leur pays ; ils revoient leur case au toit de bozaka
et la rizière où viennent jouer les fody (petits oiseaux
rouges) ; ils évoquaient les beaux ciels bleus où, dans la
brume de la nuit montante, volent les vorompotsy et les sarcelles.
De leurs lèvres sortaient alors comme un souffle, la chanson que voici :
L’aurore luit chez nous, réjouissons-nous en nous séparant…
Ainsi la
musique de cette première période, en dépit de sa pauvreté harmonique et de son
développement trop court, est-elle riche d’originalité. Mais il est permis de
regretter sincèrement la rapidité avec laquelle les Malgaches, musiciens doués,
ont sacrifié le charme de cette inspiration tout indigène à l’influence
étrangère.
Et voici
maintenant des chansons de soldat. En quittant le sol natal, les larmes
aux yeux mais le cœur tranquille les guerriers recommandent à leur famille
d’apporter tous les effets de voyage qu’ils énumèrent con anima dans
leur chant : « Oay lahay ê! »: Apportez nos provisions, nos
tabacs ; nous disons adieu à nos parents et à tous nos amis. Adieu donc
chers parents et chers amis.